Poésie française : une sélection

Pourquoi et comment ?

Le ciel est par-dessus le toit - Paul Verlainesommet

Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.

La cloche, dans le ciel qu'on voit,
Doucement tinte,
Un oiseau, sur l'arbre qu'on voit,
Chante sa plainte.

Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là,
Vient de la ville.

- Qu'as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?

Le temps perdu - Jacques Prévertsommet

Devant la porte de l'usine
Le travailleur soudain s'arrête
Le beau temps l'a tiré par la veste
Et comme il se retourne
et regarde le soleil
tout rouge tout rond
souriant dans son ciel de plomb
Il cligne de l'oeil
familièrement
Dis donc camarade Soleil
tu ne trouves pas
que c'est plutôt con
de donner une journée pareille
à un patron ?

Pour faire un poème dadaïste - Tristan Tzarasommet

Prenez un journal.
Prenez des ciseaux.
Choisissez dans ce journal un article ayant la longueur
que vous comptez donner à votre poème.
Découpez l'article.
Découpez ensuite avec soin chacun des mots qui forment cet article
et mettez-les dans un sac.
Agitez doucement.
Sortez ensuite chaque coupure l'une après l'autre.
Copiez consciencieusement
dans l'ordre où elles ont quitté le sac.
Le poème vous ressemblera.
Et vous voilà un écrivain infiniment original
et d'une sensibilité charmante, encore qu'incomprise du vulgaire.

Le pont Mirabeau - Guillaume Apollinairesommet

Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont et je demeure

Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont et je demeure

L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'espérance est violente

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont et je demeure

Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont et je demeure

Fantaisie - Gérard de Nervalsommet

Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.

Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit:
C'est sous Louis treize ; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;

Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue... et dont je me souviens !

El desdichado - Gérard de Nervalsommet

Je suis le ténébreux, - le veuf, - l'inconsolé
Le prince d'Aquitain à la tour abolie:
Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s'allie.

Suis-je Amour ou Phébus? ... Lusignan ou Biron?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine;
J'ai rêvé dans la grotte où nage la syrène...

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron:
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.

Harmonie du soir - Charles Baudelairesommet

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir;
Valse mélancolique et langoureux vertige!

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir;
Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige;
Valse mélancolique et langoureux vertige!
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige,
Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir!
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir;
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.

Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir
Du passé lumineux recueille tout vestige!
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige...
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir!

Obsession - Charles Baudelairesommet

Grands bois, vous m'effrayez comme des cathédrales;
Vous hurlez comme l'orgue; et dans nos coeurs maudits,
Chambres d'éternel deuil où vibrent de vieux râles,
Répondent les échos de vos De profundis.

Je te hais, Océan! tes bonds et tes tumultes,
Mon esprit les retrouve en lui; ce rire amer
De l'homme vaincu, plein de sanglots et d'insultes,
Je l'entends dans le rire énorme de la mer.

Comme tu me plairais, ô nuit! sans ces étoiles
Dont la lumière parle un langage connu!
Car je cherche le vide, et le noir, et le nu!

Mais les ténèbres sont elles-mêmes des toiles
Où vivent, jaillissant de mon oeil par milliers,
Des êtres disparus aux regards familiers.

Déjeuner du matin - Jacques Prévertsommet


Il a mis le café
Dans la tasse
Il a mis le lait
Dans la tasse de café
Il a mis le sucre
Dans le café au lait
Avec la petite cuiller
Il a tourné
Il a bu le café au lait
Et il a reposé la tasse
Sans me parler

Il a allumé
Une cigarette
Il a fait des ronds
Avec la fumée
Il a mis les cendres
Dans le cendrier
Sans me parler
Sans me regarder

Il s'est levé
Il a mis
Son chapeau sur sa tête
Il a mis son manteau de pluie
Parce qu'il pleuvait
Et il est parti
Sous la pluie
Sans une parole
Sans me regarder

Et moi j'ai pris
Ma tête dans ma main
Et j'ai pleuré

Soleils couchants - Paul Verlainesommet

Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.
La mélancolie
Berce de doux chants
Mon coeur qui s'oublie
Aux soleils couchants.
Et d'étranges rêves,
Comme des soleils
Couchant sur les grèves,
Fantômes vermeils,
Défilent sans trêves,
Défilent, pareils
à de grands soleils
Couchant sur les grèves.

Première aventure céleste de monsieur Antipyrine - Tristan Tzarasommet

oi oi oi oi oi oi oiseau
qui chantes sur la bosse du chameau
les éléphants verts de ta sensibilité
tremblent chacun sur un poteau télégraphique
les quatre pieds cloués ensemble
il a tant regardé le soleil que son visage
s'aplatit
oua aah oua aah oua aah
M. le poète avait un nouveau chapeau
de paille qui était si beau si beau si beau
il ressemblait à une auréole sainte
car vraiment M. le poète était archange

Vrai nom - Yves Bonnefoysommet

Je nommerai désert ce château que tu fus,
Nuit cette voix, absence ton visage,
Et quand tu tomberas dans la terre stérile
Je nommerai néant l'éclair qui t'a porté.

Mourir est un pays que tu aimais. Je viens
Mais éternellement par tes sombres chemins.
Je détruis ton désir, ta forme, ta mémoire,
Je suis ton ennemi qui n'aura pas de pitié.

Je te nommerai guerre et je prendrai
Sur toi des libertés de la guerre et j'aurai
Dans mes mains ton visage obscur et traversé,
Dans mon coeur ce pays qui illumine l'orage.

L'ennemi - Charles Baudelairesommet

Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Voilà que j'ai touché l'automne des idées,
Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur?

- ô douleur! ô douleur! Le Temps mange la vie,
Et l'obscur Ennemi qui ronge le coeur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie!

L'homme et la mer - Charles Baudelairesommet

Homme libre, toujours tu chériras la mer!
La mer est ton miroir; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets:
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes,
ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets!

Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
ô lutteurs éternels, ô frères implacables!

Invitation au voyage - Charles Baudelairesommet

Mon enfant, ma soeur
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble!
Aimer à loisir
Au pays qui te ressemble!
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux
Brillant à travers les larmes.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
A l'âme en secret
Sa douce langue natale.


Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l'humeur est vagabonde;
C'est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu'ils viennent du bout du monde.
Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D'°hyacinthe et d'or;
Le monde s'endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté

Nevermore - Paul Verlainesommet

Souvenir, souvenir, que me veux-tu? L'automne
Faisait voler la grive à travers l'air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant où la bise détone.

Nous étions seul à seule et marchions en rêvant,
Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent.
Soudain, tournant vers moi son regard émouvant:
«Quel fut ton plus beau jour?fit sa voix d'or vivant,

Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.
Un sourire discret lui donna la réplique,
Et je baisai sa main blanche, dévotement.

-Ah! les premières fleurs, qu'elles sont parfumées!
Et qu'il bruit avec un murmure charmant
Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées!

Il pleure dans mon coeur - Paul Verlainesommet

Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon coeur?

ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits!
Pour un coeur qui s'ennuie
ô le chant de la pluie!

Il pleure sans raison
Dans ce coeur qui s'écoeure.
Quoi! Nulle trahison?...
Ce deuil est sans raison.

C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon coeur a tant de peine!

Sensation - Arthur Rimbaudsommet

Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue;
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien:
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme.

Avec mes sens, avec mon coeur - Émile Verhaerensommet

Avec mes sens, avec mon coeur et mon cerveau
Avec mon être entier tendu comme un flambeau
Vers ta bonté et vers ta charité
Sans cesse inassouvies,
Je t'aime et te louange et je te remercie
D'être venue, un jour, si simplement,
Par les chemins du dévouement,
Prendre, en tes mains bienfaisantes, ma vie.

Depuis ce jour,
Je sais, oh! quel amour
Candide et clair ainsi que la rosée
Tombe de toi sur mon âme tranquillisée.

Je me sens tien, par tous les liens brûlants
Qui rattachent à leur brasier les flammes:
Toute ma chair, toute mon âme
Monte vers toi, d'un inlassable élan;

Je ne cesse de longuement me souvenir
De ta ferveur profonde et de ton charme,
Si bien que, tout à coup, je sens mes yeux s'emplir,
Délicieusement, d'inoubliables larmes.

Et je m'en viens vers toi, heureux et recueilli,
Avec le désir fier d'être à jamais celui
Qui t'est et te sera la plus sûre des joies.
Toute notre tendresse autour de nous flamboie;
Tout écho de mon être à ton appel répond;
L'heure est unique et d'extase solennisée
Et mes doigts sont tremblants, rien qu'à frôler ton front,
Comme s'ils y touchaient l'aile de tes pensées.

Air - Nicolas Boileausommet

Voici les lieux charmants où mon âme ravie
Passait à contempler Silvie
Les tranquilles moments si doucement perdus
Que je l'aimais alors! Que je la trouvais belle!
Mon coeur, vous soupirez au nom de l'infidèle:
Avez-vous oublié que vous ne l'aimez plus?

C'est ici que souvent, errant dans les prairies,
Ma main, des fleurs les plus chéries
Lui faisait des présents si tendrement reçus.
Que je l'aimais alors! Que je la trouvais belle!
Mon coeur, vous soupirez au nom de l'infidèle:
Avez-vous oublié que vous ne l'aimez plus?

à ma femme endormie - Charles Crossommet

Tu dors en croyant que mes vers
Vont encombrer tout l'Univers
De désastres et d'incendies;
Elles sont si rares pourtant
Mes chansons au soleil couchant
Et mes lointaines mélodies.
Mais si je dérange parfois
La sérénité des cieux froids,
Si des sons d'acier et de cuivre
Ou d'or, vibrent dans mes chansons,
Pardonne ces hautes façons,
C'est que je me hâte de vivre.
Et puis tu m'aimeras toujours.
éternelles sont les amours
Dont ma mémoire est le repaire
Nos enfants seront de fiers gars
Qui répareront les dégâts
Que dans ta vie a fait leur père.
Ils dorment sans rêver à rien,
Dans le nuage aérien
Des cheveux sur leurs fines têtes;
Et toi, près d'eux, tu dors aussi,
Ayant oublié le souci
De tout travail, de toutes dettes
Moi je veille et je fais ces vers
Qui laisseront tout l'univers
Sans désastre et sans incendie;
Et demain, au soleil montant
Tu souriras en écoutant
Cette tranquille mélodie.


La mort - Charles Van Lerberghesommet

Oh! Que sa main est petite et blanche!
On dirait une fleur qui penche...
Elle repose, elle dort,
Elle a touché la mort.
Elle est vide, et toute légère,
Elle a accompli son sort sur la terre.
Tu peux la prendre, ô Seigneur!
Elle a touché le bonheur...
La lune brille sur son visage,
Et ses yeux sont pleins de nuages.
Sa bouche pose, entrouverte et paisible,
Comme au bord d'une coupe invisible.
On a couché ses longs bandeaux
Comme des blés sous une faulx.
Lentement, sans bruit, sans secousse,
La porte s'ouvre la nuit douce...

Ouvre sur moi tes yeux si tristes et si tendres - Pierre Louÿs sommet

Ouvre sur moi tes yeux si tristes et si tendres,
Miroirs de mon étoile, asiles éclairés,
Tes yeux plus solennels de se voir adorés,
Temples où le silence est le secret d'entendre.

Quelle île nous conçut des strophes de la mer?
Onde où l'onde s'enroule à la houle d'une onde,
Les vagues de nos soirs expirent sur le monde
Et regonflent en nous leurs eaux couleur de chair.

Un souffle d'île heureuse et de santal soulève
Tes cheveux, innombrables ailes, et nous fuit
De la nuit à la rose, arôme, dans la nuit,
Par delà ton sein double et pur, Delphes du rêve.

Fête - Guillaume Apollinairesommet

Feu d'artifice en acier
Qu'il est charmant cet éclairage
Artifice d'artificier
Mêler quelque grâce au courage

Deux fusants
Rose éclatement
Comme deux seins que l'on dégrafe
Tendent leurs bouts insolemment
IL SUT AIMER
quelle épitaphe

Un poète dans la forêt
Regarde avec indifférence
Son revolver au cran d'arrêt
Des roses mourir d'espérance

Il songe aux roses de Saadi
Et soudain sa tête se penche
Car une rose lui redit
La molle courbe d'une hanche

Chanson d'automne - Paul Verlainesommet

Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon coeur
D'une langueur
Monotone

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure;

Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.

Tristesse - Alfred de Mussetsommet

J'ai perdu ma force et ma vie.
Et mes amis et ma gaîté;
J'ai perdu jusqu'à la fierté
Qui faisait croire à mon génie.

Quand j'ai connu la Vérité,
J'ai cru que c'était une amie;
Quand je l'ai comprise et sentie,
J'en étais déjà dégoûté.

Et pourtant elle est éternelle,
Et ceux qui se sont passés d'elle
Ici-bas ont tout ignoré.

Dieu parle, il faut qu'on lui réponde.
Le seul bien qui me reste au monde
Est d'avoir quelquefois pleuré.

Comme on voit sur la branche - Pierre de Ronsardsommet

Comme on voit sur la branche au moi de mai la
En sa belle jeunesse, en sa première fleur, [rose,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l'aube de ses pleurs au point du jour l'arrose;

La grâce dans sa feuille, et l'amour se repose,
Embaumant les jardins et les arbres d'odeur;
Mais, battue ou de pluie, ou d'excessive ardeur,
Languissante elle meurt, feuille à feuille déclose.

Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
Quand la Terre et le Ciel honoraient ta beauté,
La Parque t'a tuée, et cendre tu reposes.

Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses.

Sonnet (Avec la manière de s'en servir) - Tristan Corbière sommet

Réglons notre papier et formons bien nos lettres:

Vers filés à la main et d'un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton;
Qu'en marquant la césure, un des quatre s'endorme...
Ca peut dormir debout comme soldats de plomb.

Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme;
Aux fils du télégraphe: - on en suit, quatre, en long;
à chaque pieu, la rime – exemple: chloroforme.
- Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.

- Télégramme sacré – 20 mots. – Vite à mon aide...
(Sonnet – c'est un sonnet -) ô Muse d'Archimède!
La preuve d'un sonnet est par l'addition:

- Je pose 4 et 4 = 8 Alors je procède,
En posant 3 et 3! – Tenons Pégase raide:
«ô lyre! ô délire! ô... - Sonnet – Attention!

Le meilleur moment des amours - Sully Preudhommesommet

Le meilleur moment des amours
N'est pas quand on a dit: je t'aime.
Il est dans le silence même
A demi rompu tous les jours;

Il est dans les intelligences
Promptes et furtives des coeurs;
Il est dans les feintes rigueurs
Et les secrètes indulgences;

Il est dans le frisson du bras
Où se pose la main qui tremble,
Dans la page qu'on tourne ensemble,
Et que pourtant on ne lit pas.

Heure unique où la bouche close
Par sa pudeur seule en dit tant!
Où le coeur s'ouvre en éclatant
Tout bas, comme un bouton de rose

Où le parfum seul des cheveux
paraît une faveur conquise...
Heure de la tendresse exquise
Où les respects sont des aveux!